Du 20 au 26 mars 2016, c'est la semaine du travail social. Tôt dans ma vie, j'ai eu la chance de profiter de la présence d'une travailleuse sociale dévouée. Ce qui suit est un extrait tiré de mon livre, Citoyen de Ville Joie. Un extrait qui raconte le moment de ma rencontre avec Danielle peu après mon arrivée à l'orphelinat.
"...Après que quelques semaines se soient écoulées, un des éducateurs me conduit dans une petite salle pour une rencontre avec une dame appelée Danielle. Elle se présente en me serrant la main et me demande si j’aimerais l’accompagner pour une promenade dans la cour arrière. Voilà une offre que j’accepte de bon cœur puisque j’y passe de toute façon le plus clair de mon temps et parce que je sais qu’Alain est déjà là en train de jouer aux billes avec les autres, un jeu que je ne peux toujours apprécier qu’en tant que spectateur seulement puisque je n’ai pas encore mes propres billes.
Danielle, d’aussi loin que je puisse me souvenir, est la première personne dans ma vie à tenir ma main, que je mets instinctivement dans la sienne pendant que nous nous dirigeons vers une table, en retrait du bruit que font mes amis. Nous marchons en silence mais je sens le regard de Danielle sur moi, je sens sa curiosité à mon égard.
Aussitôt que nous arrivons à la table, je m’assois et je lui demande si elle aussi va m’emmener dans une nouvelle maison.
«Non», répond Danielle avec un sourire.
«Pas aujourd’hui. Mais mon but n’est pas de te trouver une maison, c’est de te trouver une famille. C’est ce que je fais dans la vie; je trouve des familles pour les enfants qui n’en ont pas.»
Quelques mots suffisent pour que je puisse entendre dans sa voix la gentillesse qui se mêle à la détermination. Quelques mots seulement peut-être, mais bien choisis, et Danielle vient de me dire qu’elle est vraie, qu’elle est sincère. Et, par le fait même, elle me rassure un peu plus sur ce qui m’attend dans l’avenir.
Nous restons à la table pendant qu’elle me pose des questions et me laisse m’exprimer sur ce que j’ai vécu jusqu’à présent et sur combien j’aime vivre à Ville Joie.
Parler avec Danielle me fait du bien, c’est facile et le seul son de sa voix ajoute à la paix que j’ai trouvée en arrivant ici.
Avant de partir, Danielle me fait la surprise d’ouvrir son sac à main et d’y prendre un cadeau juste pour moi, le premier de ma vie je crois. En voyant ce qu’elle sort de son sac, j’en ai le souffle coupé. C’est une poche bleue remplie à craquer de billes toutes neuves, que j’agrippe comme si c’était un sac de velours rempli de pierres précieuses. Si Danielle fut la première à tenir ma main il y a de cela moins d’une heure, elle est maintenant la première personne à qui je lance un «merci» spontané. Les éducateurs essaient de m’enseigner ce mot depuis mon arrivée, mais là, il est sorti de ma gorge en toute hâte comme un réflexe.
Je peux maintenant jouer aux billes avec les autres. Mon billet d’admission pour l’activité la plus populaire dans la cour de Ville Joie et pour vraiment faire partie du groupe.
Danielle me permet d’aller jouer avec mes amis et me dit que nous nous reverrons bientôt avec, ce qu’elle espère, de bonnes nouvelles.
«J’ai des billes, j’ai des billes» que je crie en courant vers Alain et les autres..."
Deuxième extrait, tiré du chapitre intitulé Réflexion:
"...Puisque son visage n’est plus là, quand je reviens sur le jour où j’ai fait la connaissance de Danielle, je ne vois que nos silhouettes qui marchent main dans la main ou qui sont assises en train de se parler. La scène est incomplète, j’en conviens. Ce qu’elle évoque en moi est pourtant lourd de sens: j’y ressens une promesse implicite de Danielle qu’elle ferait tout en son pouvoir pour me trouver une famille. À travers les défis et sa maladie, elle a tenu sa promesse et elle m’a donné la chance d’une meilleure vie alors même qu’elle était en train de perdre la sienne.
Danielle est toujours là, bien enveloppée dans les souvenirs de ces années liées à mon passage à Ville Joie, et je suis certain qu’elle sourit de fierté quand je reconnais la gentillesse des autres, ce que je suis capable de faire grâce à la gentillesse exemplaire qu’elle m’a démontrée lors de cette période de ma vie marquée par la confusion.
Elle vit aussi dans les sentiments qui m’affligent encore parfois quand il m’arrive de réfléchir aux choses que j’aimerais effacer ou peut-être juste changer. Lorsque je pense à la peine que j’ai pu causer à la famille P en leur tournant le dos, à mon incapacité à plaire plus rapidement à la famille B ou à mon échec avec Gérard et Guylaine, c’est Danielle qui vient me rappeler que je n’étais alors qu’un enfant et que le destin de chacun doit suivre son cours, accompagné d’une logique et d’une intention bien à lui.
La plupart de mes regrets s’estompent quand je me rappelle que c’est Danielle qui m’a calmé l’après-midi où j’ai fait mes adieux à une famille pour ensuite me conduire à celle avec laquelle, Dieu merci, j’allais passer le reste de ma vie.
Il est tout de même un regret que je garderai en moi pour toujours. J’aimerais la revoir, ne serait-ce que pour le temps qu’il me faudrait pour la serrer fort dans mes bras comme je m’en sais capable. J’aimerais lui rembourser, sou pour sou, tout ce qu’elle a fait pour moi en lui disant les seuls mots que je suis certain qu’elle voudrait entendre:
Je vais bien..."
Le premier chapitre de Citoyen de Ville Joie est disponible en version audio ici